Histoire
Ton grand-père et moi nous sommes disputés avec ta mère le jour où elle est arrivée en disant qu'elle partait vivre sa vie avec un homme rencontré la veille. Elle a prétexté que nous étions vieux jeu, que nous ne comprenions rien, que nous étions passés et qu'elle, elle savait ce qui était bon pour elle. Si seulement elle avait mieux su ! Si seulement elle avait su ce qui serait bon pour toi ! Lorsqu'elle est tombée enceinte, l'inconnu qu'elle avait suivi aveuglément était partit sans un regard en arrière et elle se retrouvait seule et sans le sou, trop fière pour nous demander de l'aide. Nous ignorions qu'elle t'attendait, que tu as passé les premiers mois de ta vie dans un vieil hôpital de campagne au milieu des agonisants et des chiens errants pleins de puces. Nous ignorions aussi qu'elle t'a jugé responsable de sa déchéance, de sa douleur. Nous avons fini par nous douter qu'elle se droguait, qu'elle buvait, mais sa fierté l'empêchait de nous demander de l'aide. Pourtant nous l'aurions fait, tu le sais n'est-ce pas ? Nous étions fâchés mais elle était notre seul enfant... Elle n'a pourtant jamais voulu, et toi mon pauvre petit, tu as grandi dans la douleur et la haine.
Si seulement... Si seulement j'avais pu voir plus tôt, lorsqu'enfin nous avons appris ton existence et que le juge a accepté de te confier à nous l'année de tes six ans, que notre fille, la chair de ma chair, t'avait laissé bien plus qu'un nom et un prénom : un traumatisme. Tu n'étais pas souriant, au contraire tu étais triste lorsque nous t'avons récupéré mais tu t'épanouissais à nos côtés et nous étions ravis. Pourquoi n'ai-je pas vu, bien avant tes dix ans, qu'il y avait un problème autre que ton cœur fragile ? Je me rappelle encore la réflexion de ta maîtresse cette année-là :
"- Des enfants de l'école d'à côté ont disséqué vivante une grenouille devant Valiant et ses copains.
- Oh Seigneur !
- Nous nous sommes occupés de régler le problème mais je suis inquiète au sujet de votre petit-fils.
- Il a vomi ? Il est enfermé quelque part ? Où est-il ?!
- Il va mieux. Il avait l'air bouleversé mais ce n'est pas ça qui m'ennuie.
- Soyez plus claire, jeune fille.
- ... Il ne pleure pas, Madame Ingalls. Et pour avoir échangé avec les autres institutrices, nous avons constaté... qu'il ne pleure jamais. Pleure-t-il chez vous ?"
D'aussi loin que je me souvienne, tu n'as jamais pleuré. Tu ne pleurais pas sous les coups de ta mère. Tu ne pleurais pas lorsqu'elle écrasait sa cigarette allumée sur ton bras ou ta paume. Tu ne pleurais pas non plus lorsque tu regardais un film triste. Tu n'as même pas pleuré pour l'enterrement de ton grand-père...
Oh je sais bien que tu étais triste ! Je sais que certaines choses te brisent le cœur ! Mais jamais tu n'as daigné offrir tes larmes, comme si tu les gardais bien précieusement quelque part au fond de toi, dans un petit coffre inaccessible. Au fond, peut-être bien que tu pensais la même chose que moi mais différemment : aucune cause, aucune femme ne méritait tes larmes.
Je ne suis pas surprise que tu sois parvenu à intégrer l'armée à 18 ans malgré tes faiblesses, et je sais que tu as beaucoup travaillé pour compenser ta fragilité. Ce qui m'a surprise, en revanche, c'est que tu me parles de ce jeune homme blond que tu as croisé, et tu as même employé le terme de "nounou". Tu as dû te tromper, les nourrices sont des femmes, mon petit. Je sais bien que je perds la boule mais je sais encore faire la différence ! Et puis qu'est-ce que c'est que cette sombre histoire de marine et d'abandon ? Je conçois que tes amis veuillent y aller aussi mais enfin... A 20 ans maintenant, il est temps que tu te trouves une demoiselle, non ? Oublie tes amis ou ce grand blond (il est charmant, d'accord, mais être charmant n'a jamais fait pousser les seins de personne) et trouve-toi une jolie jeune femme. Et ton instructeur, ce... Weaver... Il n'a pas une fille à te présenter ? Tu m'en parles souvent aussi mais pour être honnête, si tu dépensais autant d'énergie à séduire les filles qu'à vouloir plaire à ton instructeur, je serais déjà arrière-grand-mère au moins cinquante fois ! Je sais bien que tu n'es pas entouré de beaucoup de demoiselles, mais il y en a sûrement dans les bars lorsque vous sortez, non ? Et ce blond charmant, a-t-il une sœur ?
Oh, Monsieur Picket veut manger et la voisine vient pour une partie de bridge. Prends soin de toi, mon petit Cœur. A bientôt,
Ta Granny qui t'aime."
La vieille femme lèche l'enveloppe lentement, la repose close sur la table tout aussi lentement lorsque trois coups sont frappés à sa porte. Avec peine elle se déplace, l'ouvre, pour se retrouver face à des officiers de l'armée. Ils n'ont même pas encore pris la parole qu'elle pleure déjà. Elle sait.
- Madame Ingalls ?
- Non...
- Je suis navré d'être porteur de mauvaises nouvelles mais... Votre petit-fils est décédé sur le champ de bataille.
- Non... Non... Il doit revenir pour Thanksgiving... Il doit lire ma lettre...
- Toutes mes condoléances. Un cercueil vide sera enterré dimanche, nous vous remettrons sa médaille du mérite.
- Je dois... le sauver... Je dois le sauver de sa mère, je...
- Je suis sincèrement désolé, Madame...
- Il n'a pas pleuré, n'est-ce pas ? Il n'a pas pleuré... Mon petit coeur ne pleure pas...
Madame Ingalls décède le 21 décembre 1969, un an jour pour jour après le décès de son petit-fils. Il avait 20 ans.
***
Ne pas abandonner. Jamais. C'est la devise de leur instructeur, l'adjudant il ne sait plus quoi Weaver. Le type qui peut décider s'ils vont vivre ou mourir, en gros. Qu'importe. Ils doivent faire la planche et tenir jusqu'à ce que l'un des nouveaux se fasse démolir par l'adjudant. Le corps tremblant il inspire et expire lentement pour solliciter le moins possible son cœur, fort heureusement il travaille son endurance avec acharnement. Fermant les yeux il entre dans une sorte de méditation, dont il ne sort que pour mieux soutenir ses collègues de son épaule passée sous la leur. Si ça risque de le faire virer ? Tant pis. Il va aider autant que possible et si c'est mal vu, il ne va pas pleurer. Ah ah, la blague...
Le combat entre l'adjudant et le grand blond est terminé et Val pousse un soupir tremblant de soulagement. Il est le premier à se redresser sur ses pieds, grimace à ses muscles brûlants, et rejoint le blond au sol pour lui tendre la main, l'aider à se relever. Son regard pétille et son sourire est éclatant.
- Allez, "nounou"... Une douche chaude suivie d'une bonne bouffe fera le plus grand bien à tout le monde.
Il a passé les deux autres tests tout aussi mortels proposés par ce démoniaque adjudant. Si ça lui a coûté ? Oui. S'il a tenu bon ? Evidemment. Et il a été sélectionné pour faire partie de la première et nouvelle équipe appelée : les Navy Seals. Direction le Viet Nam une fois la formation terminée. Sa spécialité ? Le déminage. Faire péter des trucs ou éviter que ça pète, c'est son dadas. Il a un don pour ça, le contrôle qu'il préserve sur son coeur -et donc sur son stress- y est sûrement pour quelque chose. Merci l'absence de larmes. Pourtant, ce jour-là, ce n'est pas une bombe ennemie qui apparaît près de son équipe mais bien une alliée : ce sont les Etats-Unis qui le tuent.
(Cette partie-là, jusqu'à sa transformation, est et sera évoquée dans le rp actuel entre William et Willy)
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Les Etats-Unis ont envahi l'Océanie. Exterminé les australiens. Anéanti les hommes, les femmes, les enfants, les bébés. Ceux qui ne voulaient pas se soumettre ont été tués. Lui était installé là depuis des siècles, bien caché loin de la folie des vampires. Il a camouflé ses cicatrices par des tatouages, a ouvert sa petite librairie et a vécu tranquillement sa vie ; célibataire il n'a eu ni femme ni conjoint, juste un chat qu'il a baptisé Monsieur Picket et qu'il a fait se reproduire uniquement pour avoir constamment un Monsieur Picket près de lui. Qu'il ne puisse pas pleurer lui donne la réputation de ne pas avoir de cœur, mais il s'en moque. Ceux qui le connaissent vraiment savent ce qu'il en est. Mais maintenant ? Maintenant le voilà de retour en Amérique, ses pieds enchaînés foulant cette terre qu'il a abandonnée il y a bien longtemps : sa patrie l'a abandonné en premier, après tout. Les chefs d'accusation qui planent sur lui ? Être australien, tout simplement. Il en a secoué la tête, dépité. Où va le monde... Mais il n'a rien dit, pas une fois sa voix ne s'est élevée pour se défendre et elle n'a pas résonné depuis, le jeune homme s'enfermant dans le mutisme complet. Il s'est contenté de fixer l'air triste ses juges et ses bourreaux, et on lui a planté une aiguille dans la peau avant de l'envoyer dans un centre pour "refaire son éducation". L'un des soldats a ricané en lui disant qu'il avait hâte de le voir chialer, et Val en a haussé les épaules tout en secouant la tête. Tu vas attendre longtemps, mon grand...