Apparence

47, XXY

Deux mètres et quinze centimètres. Cent cinquante kilos. Une masse, une brute épaisse, un monstre de muscles et de testostérones. Les femmes se sont battues depuis la nuit des temps pour une nuit avec lui, un enfant de lui. Lui qui était un bébé si grand, si gros, envoyant sa mère à la mort durant l'accouchement, obligeant les médecins à ouvrir le ventre puisqu'il ne pouvait sortir par la voie basse, faisant trembler déjà les vestales et les prêtres par ses pleurs si bruyants. Né une nuit de pleine lune, né durant la semaine d'Anubis, le Dieu des Morts, on dit que le puissant Chacal s'est penché aussitôt sur son berceau et on l'a baptisé à juste titre Ahmès, ou Ahmôsis, qui signifie "né de la Lune".

En grandissant il était faible, malade, toujours trop grand pour son âge et trop maladroit, peu poilu et tonique. Il avait du mal à lire, à écrire, à compter. Toujours la tête dans la lune, quelle ironie. On riait de lui, on ne lui laissait pas une espérance de vie trop importante. Inutile pour la société, mais inutile pour les dieux ? C'était à voir. Ce qui serait appelé plus tard le syndrome de Klinefelter développe également chez lui de l'ostéoporose, une faiblesse qui le fait encore plus souffrir mais rien ne l'empêche de continuer, dans le temple d'Anubis, de se dévouer au Dieu. Ni la douleur, ni la honte. Ses crises de colère impulsives on dit que seul le Dieu peut les gérer, seul le temple peut les apaiser. Sa dévotion était sans faille.

Au fur et à mesure du temps on s'est étonné qu'il vive, qu'il ne s'effondre pas, qu'il grossisse même. Quelque chose, ou quelqu'un, lui donnait la force qui lui manquait, la résistance qui lui manquait, la puissance qui lui manquait. Tout cela il l'a trouvé en son Dieu, en la Lune, en sa ville même, la belle Thèbes "La Puissante". Il a puisé ses lacunes dans les forces qui l'entouraient, au point que certains disent qu'il a été choisit par les dieux juste pour ça.

Il est stérile, mais ça il l'ignorait et il n'en faisait pas vraiment cas. Les autres ne lui importaient pas, tout concentré qu'il était à offrir son amour et sa vie à son Dieu. Il s'était mis à faire de l'arthrose, et la seule fois où il avait eu une érection elle avait duré si longtemps que, combiné à la taille de ses bourses bien trop petites pour son âge, sa compagne en avait fuit, le laissant incapable de se satisfaire convenablement. Alors il était retourné au temple et avait prié, et c'était passé.

Autant dire que devenir vampire a été un soulagement pour lui, qui s'était mis à manger de la viande crue pour y puiser de cette masculinité qui lui manquait. Il en priait même, lorsqu'il avait le temps, le puissant Seth de lui accorder d'être un homme, un vrai. Mais Anubis ne partageait pas ses fidèles avec son amant, et certains disent que c'est à cause de cela qu'il a trouvé la mort.

Aujourd'hui il a bien compensé ses manques, subissant notamment une opération pour remplacer ses bourses par des fausses de taille correcte tout en se mettant ardemment à la tâche pour prendre cette masse musculaire qui lui avait tant fait défaut. Son rire est à l'image de son corps : spontané, puissant, clair, le genre de rire qui fait trembler les chaumières et contamine les personnes alentours. Un rire bon enfant qu'il a pourtant si peu laissé entendre... dans son enfance, justement. Dans la mort, son Dieu lui offrait enfin la chance d'être l'homme qu'il n'était pas de son vivant. Lourde récompense, lourd privilège pour, fort heureusement, des épaules suffisamment larges pour les porter.

Personnalité

"Signe Anubis, du 9 au 27 mai. C'est le surnom que les astrologues égyptiens vous donnent. En effet, votre nature particulièrement émotive vous rend très réceptif aux cycles lunaires. En langage populaire, on dirait que vous êtes un "oiseau de nuit ". Les labyrinthes, les souterrains, les choses à caractères obscures vous attirent énormément. Ce qui se cache derrière le voile des apparences attise votre curiosité."
- Ah ah ah, cette énorme blague ! Vampire, oiseau de nuit... Qui a écrit ça ? Je veux savoir qui est ce génie.
- Allez Dor, avoue que ça te va bien !
- Oui c'est vrai, j'aime les souterrains, les choses obscures, les longs tunnels chauds et humides tout temps de l'année dans lequel enfoncer ma... lampe torche.
- Alors ça c'est fin !
- Oh non ça va, je suis bien proportionné.

"Etre une figure populaire ne vous intéresse pas. Vous préférez travailler dans l'ombre et le secret. Les feux de la rampe, la lumière du prestige vous font peur, car vous estimez que la gloire peut nuire à la clarté et à la solidité de l'esprit. Vous adorez décoder les mystères, découvrir une recette miracle qui transformerait le monde en mieux est votre désir le plus cher. Par exemple trouver le vaccin contre le sida ou le moyen de vaincre le cancer sont à vos yeux les recherches les plus essentielles de notre époque. Seulement, votre sensibilité aigue peut nuire à votre logique et à votre rigueur. Trop d'émotions perturbe votre concentration. Ainsi vous seriez le merveilleux assistant d'un grand savant, le docteur Watson de Sherlock Holmes en somme , car votre sens des responsabilités est très grand et vous savez garder un secret si on vous le demande."
- Il faut vraiment qu'ils arrêtent avec leurs mystères à la noix.
- Mais admets tout de même que ça te va bien, tu es exactement comme ça !
- Non, je ne suis pas fou des mystères au point de vouloir découvrir un remède au Sida.
- Je parle plutôt des feux de la rampe, travailler dans l'ombre, les secrets, la gloire...
- Ah. J'imagine que c'est à cause de la lune, de la vie nocturne ? Ce sont des imbécilités, c'est grotesque. Ferme-ça.
- Attends ce n'est pas finit ! Continue Polo* !

"En astrologie égyptienne, vous êtes "le gardien du temple des connaissances". Sans vous, les traditions n'existeraient peut-être plus et l'homme serait à tout jamais déraciné. C'est dire combien vous inspirez confiance. Et vous êtes à la hauteur de cette mission ! La trahison est un mot banni de votre vocabulaire. Mais vous êtes trop fataliste, et c'est là que réside votre point faible. C'est contradictoire avec vos ambitions, qui sont parfois, il faut l'avouer, démesurées. Mais comme vous êtes un être nocturne, une petite instabilité vous tiraille de temps à autre... Cela dit, vous ne faites aucun cadeau et vous êtes votre pire juge. Ne placez pas la barre si haut ! Soyez plus souple envers vous-même, ainsi vous y gagnerez en force intérieure."
- ...
- Et bien, pas de commentaire redondant ?
- Sais-tu que plus personne n'utilise ce mot depuis deux siècles et demi ?
- C'est vrai ? C'est un tord, parce que c'est un très joli mot. Ca me fait penser à rhododendrons.
- Mais... Ca n'a pas le moindre lien !
- Je sais. Faut-il vraiment qu'il y en ait un ?
- Il n'empêche que là, ils ont bon sur toute la ligne. C'est exactement toi.
- Non, c'est grotesque.
- Arrête de dire "grotesque" tout le temps, ce n'est pas grotesque !
- C'est grotesque. Grotesque, grotesque, grotesque, grotesque, grotesque...
- Aaaah, et voilà ! Arrête un peu, tu es agaçant parfois ! Tu es le premier d'entre nous, alors que tu le veuilles ou non, tu es exactement le gardien de tout !
- C'est grotesque.
- Tu es exaspérant ! Tiens, il est même mis que tu dois porter du pourpre.
- Pourpre ? Mais plus personne ne porte de pourpre depuis la décapitation de ce cher Louis 16. Un gâchis, si tu veux mon avis. Les français n'ont rien gagné à décapiter les nobles, les pauvres sont toujours pauvres et les riches toujours riches. Du sang versé inutilement, typiquement humain.
- Nonnn... Tu vas te lancer dans un débat, là ?
- Il va se lancer dans un débat.

Histoire

Comment raconter plus de 5 000 années de vie. Comment parler de tout ce dont j'ai pu me souvenir, de tout ce que j'ai pu vivre, de tout ce dont je pourrais me rappeler. Avec le temps les souvenirs s'effacent mais se modifient aussi, et aucune mémoire ne peut rester juste et fiable à jamais. Sans compter qu'avec l'évolution si vous voulez savoir ce qu'il s'est passé, vous n'avez qu'à demander à votre ordinateur ou votre Home Assistant. Des questions sur l'Antiquité ? Pas de problème. Sur les guerres mondiales ? L'imprimante peut vous en donner un exemplaire en 3D. Chacun y va de son grain de sel, de ses théories, de ses pensées philosophiques et de ses réflexions cosmiques et moi ça m'amuse. Ils n'y étaient pas, ils ne savent pas vraiment. Moi oui. Mais allez, je vais faire un effort.

Je me rappelle du jour de ma mort.

"- Ahmôsis...
- Où suis-je ? Qui est là ? Suis-je mort ?
Cette tête de chacal sur un corps d'homme large et musclé, des crocs qui scintillent dans l'obscurité.
- Mon plus fidèle serviteur, j'ai des projets pour toi.
- Puissante Divinité, je ne suis pas digne...
- Sais-tu mieux que moi ?
- Non, Puissant Seigneur, je ne sais rien, je ne suis rien face à ta grandeur...
- La mort n'est pas pour toi aujourd'hui, Ahmôsis. Tu erreras parmi les vivants, tu resteras à jamais loin des morts, et tu porteras mon Nom à travers le temps. Tu seras Ahmôsis Ankhenefinpou, celui Né de la Lune protégé par Anubis. Va, éveille-toi à ta nouvelle vie. Tu as beaucoup à faire."

Ai-je vraiment vécu cela ou n'était-ce que le fruit de mon imagination ? Anubis seul le sait. A mon réveil je découvrais une soif que nulle eau ne pouvait tarir, que nul alcool ne pouvait étancher. La seule chose qui m'appelait était cette viande rouge bien chaude et bien saignante que je dévorais étant adolescent pour tenter d'en extirper de quoi devenir un homme. Alors je me suis jeté sur cet homme et ai bu avidement son sang, planté les crocs dans sa chair. Et j'ai recommencé avec l'homme suivant, et avec un autre encore, et encore, et encore… Et au fil du temps je suis moi-même devenu un homme. Au détriment de la vie des autres.

J'ai appris à accepter ce corps que j'avais tant haït, à le dresser et le soumettre à ma volonté. Je l'ai forgé comme j'ai forgé ma première sica lors d'un voyage en Dace, je l'ai vaincu comme j'ai vaincu mon premier lion dans le Colysée de Rome, je l'ai dominé comme j'ai dominé Spartacus lors d'un petit combat amical, et je l'ai regardé s'avouer vaincu comme celui de César s'abandonnant à la mort sur les dalles si blanches de son Conseil. Je ne suis jamais resté longtemps au même endroit, j'ai longtemps erré, partout. A pied, à cheval, en calèche puis en diligence, en pétaradeuse puis en voiture digne de ce nom. Pas d'attaches, pas de famille, de rares amis que je prenais soin de connaître toute leur longue vie humaine avant de faire le choix, ou pas, de les transformer.

J'ai été le premier à me porter volontaire pour aller découvrir ce nouveau monde qui existait peut-être de l'autre côté de l'océan. Je prenais le bâteau avec mon vieil ami Leif Erikson, fils d'Erik le Rouge, pour débarquer sur ces plages de neige qu'on imaginait avec tant de fièvre : l'Amérique du Nord, en l'an 1 000. Une aventure incroyable et passionnante. Ce que j'aimais avec les vikings, c'est qu'hormis notre différence certaine de couleur de cheveux et de barbe, nous étions vraiment semblables : taille, poids, douceur exquise dans notre façon de parler et de nous faire l'accolade, et surtout, surtout ! Notre manque d'amour profond pour le soleil. Je peux dire sans me tromper que vivre avec eux a représenté l'une des meilleures périodes de ma vie. Quant à ma rencontre avec des aborigènes... C'était sublime. Absolument sublime. Je suis totalement tombé amoureux de ce continent, et au départ lorsque j'ai vu d'autres débarquements notamment des gallois puis de ce bon vieux Christophe, j'ai accepté l'idée en me disant que mélanger les coutumes était une bonne chose. Combien je me trompais... Il leur a fallut si peu de temps pour tous les exterminer jusqu'au dernier. Si peu pour les rendre malades, les réduire en esclavage, les brutaliser, leur arracher toute leur profonde humanité. Ces maudits blancs-becs, ces chrétiens pathétiques débarquaient avec leur misérable dieu qui se prétendait plus fort à lui seul que tous ceux qui existaient bien avant lui et qui avaient déjà tout créé. Franchement, vous pouvez me le dire, vous, quel genre de dieu est donc celui qui ordonne le massacre d'innocents ? Ouais, c'est ce qui me semblait. Ecrasez-vous les cathos.

Non, ce petit dieu et moi ne sommes pas amis. Et j'ai rapidement cessé d'être ami avec ces meurtriers. Emportant l'un de mes protégés avec moi je me réfugiais loin du monde, observais de loin ces imbéciles s'autodétruire et se pousser mutuellement vers la mort. Qu'ils meurent dont ! Mon Seigneur Anubis en était ravi, et le Tout Puissant Seth aussi. Pourtant petit à petit ce dieu misérable prenait de la place, tout comme ses fidèles, et ça me révulsait. Et que dire, que dire !!! Le massacre de Salem !!! Je me rappelle encore... Des gamines si adorables, des familles aimantes... Assassinés, torturés, massacrés une fois encore et pour quoi ??? Ce stupide dieu, encore et toujours !!!

Les humains sombraient dans la bêtise et avec mes protégés, les rares amis que j'avais faits devenir vivants dans la mort à mes côtés, nous contemplions la scène avec désespoir. Je ne parle même pas de ces humains que mes protégés avaient transformés et qui parfois devenaient fous, surtout avec l'arrivée de ce livre vantant les mérites de Vlad. Non mais sérieusement. Je l'ai rencontré, Vlad. Un homme charmant au demeurant, quand il n'a pas de bambou sous la main. Comme je l'ai toujours dit à Matthias**, c'était un gay refoulé, c'est pour ça qu'il faisait une fixation sur les hommes perforés par l'anus ! Mais la fois où je lui ai soumis l'idée après avoir lu ce livre ridicule de Stocker je me suis pris une table en travers de la figure, alors j'ai évité de recommencer. Abîmer le matériel, c'est mal. Non franchement, ce que je reproche à Vlad, moi, c'est surtout de s'être christianisé. Il faut vraiment être con.

Quoi qu'il en soit ! Je décidais de donner une leçon à ces imbéciles d'humains arrogants et avec l'aide de mes petits protégés commençais à fomenter une insurrection. Il était grand temps que tous ces petits blancs becs comprennent que leur dieu, c'est de la gnognote, et qu'eux ne sont pas mieux. Nous avons allumé la mèche et de loin avons observé la paille s'embraser. En très peu de temps les vampires ont gagné, et sur l'instant nous étions ravis. Sur l'instant...

Après cela les vampires refont les mêmes erreurs que les humains qu'ils étaient, et bon nombre des anciens se sont retirés, tout comme moi, loin du monde pour ne plus en voir les aberrations. Je persiste à observer, à tenter de comprendre, à être optimiste pour voir un plus brillant avenir pour mon espèce, pour mes enfants mais la vérité c'est que je vois l'avenir bien sombre. Ai-je eu tord ? Devrais-je tout nettoyer, éliminer toutes nos engeances pour recommencer de zéro ?
- Tu vois, exactement comme le dit ton signe d'Anubis ! Tu veux un remède pour un monde meilleur MAIS tu es fataliste ! Ca va à l'encontre de tes ambitions !
- ... Fried***, ne me dis pas que tu es sérieusement en train d'étudier ça ?
- Allons mon ami, reprends-toi ! Des siècles entiers te contemplent !
- Non, s'il te plaît, pas Napoléon. Je préfère quand tu te prends pour Dionysos. C'est bien, Dionysos.
- Veux-tu le pardon de Dieu ?
- Ah non ! Pas lui !
- Le Seigneur peut te guider ! Mon Père saura ! Allons, romps le pain avec moi mon frère !
- Arrête Fried, je ne supporte pas quand tu te prends pour Jésus ! Marcus**** !!! Amène le piano, qu'il joue et qu'au moins il se taise, par pitié !!!

Aujourd'hui, les temps changent à nouveau...

- Dor ?
- Oui Philippe*****.
- Tu as vu les nouvelles informations ?
- Sur ces fameux androïdes ?
- Oui. Tu en penses quoi ?
- J'en pense que ça va trop loin.
- J'aimerais bien en affronter un ou deux pour voir ce qu'ils valent !
- Philippe...
- Franchement, ça ne te fait pas envie toi ? Vampires contre androïdes !
- Non, Phil...
- Allez ! On se fait une petite guerre ?
- Tu as vraiment un problème.
- Mais écoute, moi la paix ça me fait chier, que veux-tu que je te dise ?! J'ai de la haine à revendre.
- Rappelle-moi pourquoi je t'ai transformé ?
- Parce que je suis génial et le seul mec qui te supporte depuis si longtemps. Alors, guerre ?
- ... On va voir. Je dois rejoindre le petit, pour le moment.

*Marco, de son petit prénom.
**Matthias Corvin 1er, dit Le Juste.
*** Nietzsche, de son petit nom.
**** Marcus Junius Brutus Cæpio de son nom complet, fils de Jules César.
***** II de Macédoine, père d'Alexandre le Grand.