Histoire
Décidément, votre curiosité n’a pas de limite.
J’ai grandi avec des esclaves jusqu’à l’âge de 10 ans. Ils se chargeaient de la cueillette de coton dans les champs de mon grand-père. Je me rappelle encore cette blancheur qui scintillait sous les rayons du soleil matinal, parsemé de têtes noires. C’était aussi troublant que fascinant. Nous vivions dans une riche demeure, aux mœurs et coutumes intransigeantes. La guerre de Sécession à causer bien des cheveux blancs aux figures masculines de la famille. Nous n’entendions parler que d’économie: économie par-ci, économie par-là. C’était barbant pour un jeune qui ne comprenait pas grand-chose aux sujets d’adultes.
Mon père a été appelé au front, pour défendre les idées des États du Sud qui s’opposaient aux États du Nord. Ce fut presqu’un soulagement dans ma tête de gamin. J’étais content de ne plus endurer ses crises de colère, sa violence et son impulsivité. Il a péri aux côtés de nombreux autres américains. Ma première pensée fut de lui souhaiter un bon débarra avant que le caractère permanent de la mort ne vienne déclencher de la tristesse dans mon jeune cœur. Mais un Homme, un vrai, ne pleur jamais. Il ne doit pas se montrer faible. Il se doit d’être digne de succéder à la lignée familiale.
« Oh, dear mother, I love you. I’m sorry, I wasn’t good enough. Dear father, forgive me. ‘Cause in your eyes, I just never added up.
In my heart, I know, I failed you.
But you left me here alone.
If I could hold back the rain, would you numb the pain? »
Remember everything – Five finger death punch
Sérieusement, j’ai mis du temps à comprendre que ces principes ne sont que foutaises et conneries.
Durant la guerre, une partie des esclaves se sont enfuis, tandis qu’à la fin de celle-ci, les autres ont retrouvé leur liberté. Mon grand-père en a fait de l’urticaire! La perte de son seul fils, la perte de ses esclaves pour faire rouler ses finances et l’incapacité d’un héritier qui passe trop de temps à se pavaner plutôt qu’à travailler… La galère. Il est décédé quelques années plus tard d’une affection pulmonaire. Suite de quoi, nous avons vécu dans cette grande maison huit mois avant de ne plus avoir les moyens d’y rester. L’agriculture fanait pour laisser place à l’industrie. La transition et l’adaptation à un petit logement en ville a été particulièrement pénible pour ma mère. D’aussi loin que je me rappel, elle m’a toujours crié que c’est ma faute si nous avons fait faillite. Que je nous ai ruiné. Que j’ai causé la déchéance d’une importante lignée. Les seules fois où j’entrevoyais un sourire sur ces lèvres sévères, c’est lorsqu’elle parlait de mon père : de sa droiture, de son sens du devoir, de la fierté qu’elle éprouvait à son égard. Le fait qu’il aille fait partie des forces armées était important à ses yeux. Elle me disait souvent qu’il était mort en héro. Elle était rongée par le désespoir jusqu’à ce qu’elle mette fin à sa souffrance. Je n’avais que 17 ans lorsque je l’ai retrouvé pendue dans sa chambre.
Je me rappelle encore vomir mes tripes. Ma poitrine était si serrée que respirer était un supplice. La panique, la culpabilité, l’impuissance, le dégoût. Ces démons m’ont habité bien longtemps.
En la détachant, je lui ai promis de m’engager dans l’armée, de devenir un vrai homme, de devenir une bonne personne et de ne plus être un fardeau. Je me suis excusé d’être attiré par les hommes, et de ne pas avoir d’attirance pour les femmes. Je me suis excusé d’être né, moi, qui n’aurait jamais dû voir le jour. Ils méritaient un meilleur fils.
Je me suis répété ces absurdités plusieurs années.
J’ai intégré l’armée américaine à mes 18 ans. J’ai fait des études à temps partiel pour m’assurer un avenir en tant que militaire. Je voulais me rendre utile. Je voulais faire honneur à ma patrie et à mes défunts parents, pour qu’enfin je sois capable de me regarder dans le miroir sans chigner comme une gonzesse.
« I’ve learned there’s beauty in the danger. There’s meaning in the misery. »
Through Hell – Citizen Soldier
L’armée m’a forgée un caractère. Je faisais face à des démons tellement terribles, tellement puissants, que j’en oubliait les miens. Ou plutôt, j’apprenais à dompter les miens. Je n’avais rien à perdre. Ma vie n’avait pas de valeur. Je n’étais qu’un numéro, qu’un chien identifié par mes plaques militaires, et cela me convenait. Heureusement, j’ai fait de belles rencontres. Ce sont mes frères d’arme qui m’ont permis de me sortir du trou sans fin dans lequel je m’étais fourré. Mon affection pour ces tarés dépassait l’entendement. C’est en les perdant un à un contre les Apaches Chiricahua que je suis devenu une vraie machine de guerre. La vengeance est un putain de plat congelé qui donne forme aux ténèbres qui arpente une âme perdue. Le sang, les cauchemars, les cris, la mort… Je rêvais de leur infliger ce qu’ils m’ont infligé. En canalisant ces émotions intenses, les stratégies militaires sont devenues mon nouveau dada.
Les hommes que j’ai rencontrés… comment dire… cette solidité, cette droiture, ce calme… Je voulais devenir l’un d’eux. Oui. Une puissance silencieuse, dangereuse et dévastatrice. La même que celle qui régnait dans l’hiver éternel de mon cœur. Miraculeusement, j’arrivais à mes fins. J’ai commencé à me bâtir une confiance en moi. Et mon instinct c’est aiguisé. J’ai accompli quelques exploits, entre autres, celui de sortir mon escadron d’une embuscade, ou celui de libérer des frères de leur captivité. De bien belles histoires à raconter autour d’un feu!
Avant que j’aille pu faire payer ces sauvages, j’ai accepté une promotion en tant que 1er lieutenant dans la marine. À 26 ans, 1er lieutenant. La fierté de ce nouveau badge m’a réchauffé le cœur. Je devenais quelqu’un, petit à petit.
Le seul problème, c’est que c’était aux yeux des autres. Je n’avais pas appris à m’aimer. Jusqu’à lui : Major White. Jusqu’à ce que j’aille l’autorisation de l’appeler James dans l’intimité. Il a cru en moi, et je lui ai tout donné. Ce qui m’a valu de monter capitaine, six ans après notre rencontre, c’est lorsque l’éclaire de géni m’a réveillé en pleine nuit. Bien entendu, j’avais suivi de près les développements de la guerre contre les Apaches, même en tant que marine. Des membres de cette tribu avait été convertis, lourdement payer pour se retourner contre Geronimo. Ce fuyard habile nous a donné du fil à retordre malgré cela. J’ai longtemps étudié ses mouvements, sa façon de penser, sa stratégie. J’ai revêtu ses chaussures pour comprendre. Et là, j’ai trouvé la clé de ma vengeance : le Skeleton Canyon. J’ai fait plusieurs appels, réveillant James aux petites heures du matin. Nous partagions un même logement en dehors de nos déploiements. Après mes appels, il a essayé de m’apaiser, mais mes démons refaisaient surface : la colère, le désespoir et l’impuissance de la perte. La même que lorsque j’ai détaché ma mère du maudit bio de soutient dans cette chambre sombre et froide. J’ai été violent et méchant avec lui. Au bord du gouffre, je l’ai repoussé. Mais il ne m’a pas lâché, jusqu’à ce que je m’effondre en larmes, sous le choc de tous ces souvenirs.
On l’a eu cet enfoiré. Et j’ai été aux premières loges au moment de sa reddition. Enfin un chapitre de clos.
« I’ll never bow down, until I’m who I meant to be.
My story is proud, because it come from tragedy.
I’m gonna live loud, until there’s no breath left in me.
I’m gonna live through hell so I left with no regrets on my deathbed. »
Deathbed – citizen soldier
Malheureusement, une épreuve n’attend pas l’autre aux yeux de la vie. James a perdu une jambe et un bras lors d’une mission. Des fichus pirates nous ont accosté et nous ont presque massacré. J’ai eu terriblement peur de le perdre, lui. Ma raison, mon amour. En 1887, j’ai été posté à la base navale de Pearl Habor. James formait des recrus sur l’île agréable de Oahu. Nous avons donc pu continuer notre vie commune. Nos collègues avaient effectivement des soupçons, mais, vous savez, à cette époque : « don’t ask, don’t tell ». Nous avons toujours nié notre homosexualité en société, disant que nous étions deux célibataires endurcis qui baisait des demoiselles ici et là. C’était devenu un « running gag » entre nous.
Treize ans plus tard… Après dix-neuf putains d’années ensembles… À apprécier les petits plaisirs de la vie, à découvrir ce qu’est le bonheur, à prendre les reines de nos vies, à apprivoiser la sagesse de ce monde infini, il a fallu qu’un crétin de vampire vienne mettre fin à tout cela. Mon créateur ne serait pas très heureux de m’entendre blasphémer. Il a toujours eu cela en horreur.
J’étais en déploiement, dans une mission spéciale et top secrète de surveillance sous-marine. Un des techniciens n’était autre qu’un vampire venu agrandir sa famille et se trouver à manger. J’ai été le seul des mes hommes à être transformés, moi, le colonel, à mes 46 ans, en 1900. Oui, j’étais vieux, mais toujours en grande forme. Je n’étais envoyé sur le terrain que lorsque nécessaire. J’y tenais, c’était important pour mon ego de mâle. Et ce coq intérieur en à bien bavé pour le restant de la mission à me nourrir de mes propres soldats, bordel de merde. Cette pourriture... Ce ne fut pas son seul coup bas.
J’ai dû quitter ma vie d’avant, évidemment. J’ai voulu transformer James, vous imaginez bien. En revanche, mon créateur l’a tué avant, stipulant qu’il me freinait dans mon développement. Je lui en ai voulu. Terriblement, et infiniment. Au point que cette douleur atroce dans ma poitrine le jour de son décès, de très nombreuses années plus tard, a été un soulagement à ma conscience.
« No, I don’t care if I sing off key.
I found myself in my melodies.
I sing for love, I sing for me.
I shout it out like a bird set free. »
Bird set free - Sia
Aujourd’hui, je comprends ce qu’il a voulu dire. Je n’avais pas d’identité propre, car Lui, était mon identité. Étudier sous la jouge d’Abraham, mon créateur, a été très enrichissant. Il s’avère que c’était un aussi grand passionné de guerre que moi. Tapis dans l’ombre, à l’abri des regards ensommeillés et sous un ciel étoilé, j’ai participé à la première et la deuxième guerre mondiale. Minutieux, intelligents et précis, nous avons frappé là où ça fait mal pour jouer en faveur de l’armée américaine. Cela me rappelle l’audace de ce cher Fidel Castro qui s’est associé à l’Union Soviétique malgré la menace américaine. Nous n’avions pas prévu ce tournant dans la guerre froide. Pour tout vous dire, nous étions un petit groupe de cinq vampires qui comblaient leur besoin sanguinaire dans les rangs ennemis en profitant du jeu stimulant et divertissant de la guerre.
Si j’ai principalement opéré en tant que marine, en 1962, à la recherche de nouveau défi, j’ai rejoint les Navy SEALs. Gracieuseté offerte par un de mes de frères d’arme cadavériques qui en faisait partie. Il était médecin militaire, et possédait les talents et les connexions nécessaires pour falsifier n’importe quelles données et documents. À mon plus grand contentement, d’ailleurs! J’ai adoré mes années chez ce groupe d’élites. Le seul petit bémol, il avait le don de choisir des noms chiants pour mes fausses identités. Bordel. Gontran Garcia, pour la première fois, et Julius Keagan pour la seconde. Il aurait pu mieux choisir quand même. Mais bon. Il m’a fourni des dossiers militaires en béton, où toutes les informations étaient véridiques, mais adapter selon l’époque. À chaque fois, moi et les hommes de mon squad n’étaient déployés que de nuit, entrainements comme missions.
Mais comment? Simple.
Lorsque vous avez entre les mains un homme surqualifié pour le grade de capitaine, qui clame n’opéré que la nuit… vous faites une exception. Vous mettez en place une TEAM spécialisée et secrète. Pour le bien de la patrie. Pour ouvrir un plus large éventail de missions. Mes hommes se sont toujours accoutumés. De toute façon, ils ont vécu pire pour entrer chez les SEALs.
Mon petit plaisir s’est terminé lorsque la falsification de données n’était plus suffisante pour passer sous les radars.
C’est en 2056 que j’ai pu faire mon grand retour en scène avec la guerre des Races. Vous vous doutez bien que je me suis démarqué. J’ai obtenu le grade d’Amiral assez rapidement, renouant avec ma jeunesse révolue. Le sang, les cauchemars, les cris, la mort… Cependant, mon état d’esprit était déjà beaucoup plus posé, beaucoup plus en contrôle. Après plus de deux siècles à vivre, rien de surprenant. J’en ai vu des vertes et des pas mûres. Une guerre de plus ne me faisait pas peur. La mort n’a jamais voulu de moi. Et dans ces temps sombres, je l’ai infligé à plusieurs, sans jamais la subir. Un autre badge que je revêts avec fierté. Cette fois-ci, l’ego ne vient pas teinter mes songes. Belle preuve de mon cheminement vers la paix intérieure et le bonheur.
Embrassant mon retour dans le seul métier que j’ai appris à faire, j’ai surveillé la Résistance de Dornia depuis le QG aux États-Unis. Je les ai étudiés, leurs mouvements, leurs façons de pensées, leurs stratégies. Je me suis glissé dans leurs chaussures comme je l’ai fait pour les Apaches. Une raison particulière? Non. Pour le défi. Pour le plaisir de le faire. Pour ma patrie et mes frères d’arme. Et, surtout, pour la sécurité des citoyens. Ensuite vient la surprise : l’aube d’une quatrième guerre mondiale. Bien plus dangereuse, bien plus périlleuse que les trois précédentes. Mon existence frôlait les abîmes à chaque pas sur le terrain. Merde que je m’ennuyais de ce shoot d’adrénaline. Si vous pensez que j’ai arrêté de surveiller les mouvements de la résistance, c’est bien mal me connaitre.
À la conférence des leaders mondiaux, en 2360, j’ai eu la chance de rencontrer un prodigieux jeune homme : Antony Alexander. La noirceur qui se cache dans les tréfonds de son âme m’interpellent, comme si je la connaissais d’autrefois, d’un temps maintenant révolu. J’aimerais prendre le temps de mieux goûter cette froideur. Mais le temps n’était pas aux rencontres. Tel que suggérer par celui-ci, j’ai appuyé sa stratégie pour aller au front contre les terroristes de la Corée.
L’an dernier fut une année… pour le moins chargée et révolutionnaire. À commencer par le massacre des femmes. Je veux bien qu’il y a de nombreuses mauvaises mères, mais de là à les exterminer comme de la vermine… Mon humour est un peu cynique, je vous l’accorde. Cela dit, les avis sont mitigés, mais nous ne reviendrons pas en arrière. Alors aussi bien aller de l’avant. Ensuite, il y a eu l’Attentat. Celui de Dorian Greyson, ancien Leader des États-Unis. Chiure de Résistance... Ils nous ont bien eu là-dessus. Mais ils vont comprendre qu’on ne se laisse pas abattre aussi facilement. Après avoir passé quelques jours à gérer la panique, stabiliser l’état mental des troupes et aider les blesser, nous avons traqué le responsable. Pour que ce bouffon ne finisse qu’esclave… même si l’esclavagisme peut avoir un goût amer lorsqu’on le subi.
Nous avons répliqué par la suite. Et nous n’y sommes pas allés de main morte. Nous avons conquis l’Océanie. Rien de plus, rien de moins. Un coup dur porté à la Résistance qui a perdu leurs seuls alliés. Puis vient la création des Forces Armées, qui unissent les militaires et les miliciens. Nous sommes maintenant tous frères d’arme, défendant une cause commune partagée par nos deux régions : les États-Unis et Dornia. Brillante idée du capitaine Alexander, je dois bien l’admettre. Suite de quoi, après de longs échanges avec notre nouveau leader, Vice Alexander, j’ai été nominé commandant en chef des Forces Armées des États-Unis. Un défi de taille que j’accepte avec humilité. Mes connaissances, mon expertise et mon patriotisme ne faibliront qu’à ma mort, et même encore.
Après tout, qu’est-ce que sera la vie si le dépassement n’est plus de mise?
Les défis éloignent les vautours de l’ennui et de la lassitude qui cherchent à dépouiller mon être qui en a bien trop vu et vécu.
Bon. Maintenant, ça suffit. Je me suis assez entendu parler, et je vous ai assez vu. Pour un autre rendez-vous, contacter mon secrétaire.